Yearbook 2010

Antaiji



Jido (Antaiji, 53ans)


Après avoir passé cinq ans dans un centre tibétain en France (Karma Ling en Savoie) et avoir découvert la voie du Zen grâce à Jacques Brosse, je cherchais désespérément un lieu de pratique dans lequel je pourrais vivre. Karma Ling était tout à l’opposé de cela, car c’est plutôt un lieu de vie dans lequel on peut pratiquer, mais ce n’est qu’une option, surtout pas une obligation encore moins une nécessité. Grâce à mon ami de bien italien Jiso auprès de qui je passais une année à la « Stella del Mattino » près de Milan, je découvrais qu’il existe un lieu correspondant à mes aspirations et que ce lieu est Antaiji, le Temple de la Paix.

C’est donc ainsi que je débarquais dans cet endroit unique, perdu dans les basses montagnes de la région de Hyogo sur l’île Honshu. Jiso qui y a vécu huit ans m’en avait parlé longuement et ce que je rencontrais dès mon arrivée en avril 2010 correspondait exactement à ce qu’il m’en avait dit, mais en pire. Antaiji, c’est l’enfer paradisiaque ou le paradis infernal… Tout y est plus : les moustiques sont plus gros qu’ailleurs, les petites mouches noires plus petites, mais voraces que nulle part, la chaleur plus étouffante, le froid plus piquant, le travail plus dur, les zazen plus longs ! Même les autres sont parfois plus pénibles…sans parler de moi qui suis de plus en plus moi, mais un moi différent, nouveau, plus absent à l’habituel et plus présent au naturel, plus conscient de ses limites, de ses manques, de ses besoins.

Tout est plus, même le temps est plus rapide ou plus court… Les jours se succèdent à un rythme effréné et entre le lever et le coucher, une étrange impression qu’il ne s’est rien passé. En fait, c’est cela le plus étrange : ici, il ne se passe rien, car tout se présente quand il le faut et où il le faut et la seule chose qui vaille la peine d’être faite est d’accepter cela en le reconnaissant le plus rapidement possible. Antaiji est un continuum de présent.

La première chose qu’il est nécessaire d’apprendre c’est à se laisser faire ou à se laisser défaire ce qui revient au même. Se laisser être. Il est indispensable d’abandonner toutes ses certitudes afin d’être constamment prêt à vivre l’instant tel qu’il se présente. Ainsi, tout devient facile et l’impossible se réalise malgré soi. « Impossible n’est pas Antaiji », voilà ce que pourrait être la devise de ce temple. Un exemple : j’ai eu la « chance » de faire des études de mécaniques, mais on ne peut pas dire que cela soit, pour moi, une passion. Grâce à elles, j’ai pu travailler huit ans en Afrique où j’ai beaucoup plus exercé en théorie qu’en pratique. Mais, la mécanique, c’est comme le vélo, cela ne s’oublie pas et ce que j’ai appris autrefois prend tout son sens ici où, loin de tout, l’entretien de tout ce qui fonctionne avec un moteur devient primordial. Mais entre entretenir et utiliser, il me semblait qu’il y avait un gouffre difficile, voire impossible à combler… C’était sans Docho-san et la confiance absolue qu’il met en chaque personne vivant auprès de lui ! Un bulldozer, ça a un moteur, donc cela peut être entretenu et pour l’utiliser, c’est simple : en tirant sur ce levier, ça va à droite, en tirant sur celui-là, ça va à gauche. Voilà, désormais, je n’ai plus qu’à niveler ce nouveau champ de riz ! Au début, c’était un peu galère, mais plus je me détendais dans cette nouvelle expérience, mieux cela se passait et à moment donné, c’était comme si le bull savait lui-même ce qu’il avait à faire. En fin de journée, c’est toujours impressionnant de regarder ce qui a été accompli en se demandant qui a bien pu faire cela… pas « moi » en tout cas, car je n’en suis pas capable ! Autre chose se met en œuvre à Antaiji, et cette autre chose ne peut être décrite, car elle se doit d’être vécue en « direct live ». C’est peut-être ce qu’on pourrait appeler « la magie de la pratique », celle qui peut se passer du magicien et qu’il ne faut surtout pas confondre avec la pratique de la magie qui n’a rien à faire avec tout cela. De tels exemples, on pourrait tous en citer des dizaines, que ce soit à l’atelier, aux champs ou en cuisine, avec toujours cette sensation que les choses se font d’elles-mêmes et que l’on n’est là que pour aider à l’accomplissement de ce qui doit être fait. Finalement, on a l’impression de se sentir de plus en plus en collaboration et en participation et de moins en moins en action. Une chose est désormais certaine : moins j’en fais, mieux cela se fait et ce constat s’avère valide dans tous les domaines en commençant par zazen, car moins je « fais » zazen, mieux cela se passe pendant zazen ; en fait, en poussant ce raisonnement, on peut très vite en arriver à conclure que la vie elle-même peut se passer de « moi » et même de l’idée que je m’en fais, car il vaut mieux la vivre que de perdre son temps à se demander pourquoi ou comment le faire.

Faire partie des résidents d’Antaiji est un privilège exorbitant et il ne tient qu’à nous de faire en sorte que ce lieu perdure pour de nombreuses années.

Grand merci à Docho-san pour son enseignement silencieux qu’il dispense en permanence par l’exemple. Apprendre ici devient plus facile qu’ailleurs : il suffit de suivre l’exemple qu’il donne en toute simplicité, disponibilité et générosité.

Puisse son activité éveillée s’accroître pour le bien-être du plus grand nombre. Gassho


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