Yearbook 2008

Antaiji


Hubert (France, Centre Zen d'Amiens, 54)


Hubert :
Merci d'être là ce soir.
On accueille Muho, l’Abbé d’Antaiji au Japon.
Muho est en Europe pour 2 mois et a l’immense gentillesse de venir d’Allemagne pour nous spécialement « Centre Zen d'Amiens » et c’est un grand plaisir de l’accueillir.

Muho:
Bonsoir. Excusez moi pour ne pas parler le français. J’ai appris le français pendant 5 ans à l’école, malheureusement sans succès, parce que j’étais un élève très paresseux.
C’est comme pour beaucoup de choses, ce n’est pas un problème de temps ou d’aptitude c’est surtout un problème de motivation. Mes études de français ont été un très mauvais exemple et c’est surtout comme ça qu’il ne faut surtout pas faire, et ça devrait nous rappeler sans arrêt que l’important ce n’est pas combien de fois, ou combien de temps nous avons travaillé, mais surtout avec quelle motivation.

Hubert m’a posé une question avant de venir, ou plutôt 2 questions :
La première est :
En quoi est-ce que Zazen peut nous aider dans la vie sociale, nous aider et nous aider à aider les autres.

La deuxième est :
Combien de zazen avons-nous besoin, combien de fois devons nous pratiquer ?

Ce sont deux questions très importantes que l’on se pose aussi au japon :
Dogen zenji a écrit énormément d'oeuvres dans lesquelles il est question de Zazen.
Par exemple le Zazengui signifie que la pratique du zen équivaut à Zazen.
D’autre part, il y a 4 choses très importantes :
Donner, Aimer, Aider les autres et Etre Un.
Pour Dogen, Zazen est très important, être Boddhisatva aussi.

J’aimerai commencer par répondre à la question : Combien de zazen devons nous pratiquer ?
A Antaîji, en une année nous pratiquons 1800 heures de Zazen.
La question est : est-ce bien nécessaire ?
La réponse est : non, ce n’est pas nécessaire.

Pour chacun d’entre nous, chaque journée fait 24 heures, et pour une année, il y a plus de 8000 heures.
Comme je vous l’ai dit tout à l’heure dans mon exemple d’apprentissage du français, ce n’est pas le temps que nous consacrons au zazen qui est important, c’est le fait de pratiquer zazen 24 heures sur 24.

L’autre question était : est-il vraiment nécessaire de pratiquer zazen ou est-ce qu’on peut se consacrer uniquement à la pratique du bodhisattva ?
En théorie Oui, mais en pratique non.
Si on devait se comparer à un arbre, l’aspect social serait se comparer au feuillage de l’arbre.
Biens sûr les branches et les feuilles sont importantes, c’est notre vie sociale mais il ne faut pas oublier que l’arbre doit rester stable. Et les racines qui donnent à l’arbre sa stabilité correspondent à la pratique de zazen.
Si on ne pratique pas régulièrement et correctement Zazen, on ne peut pas être vraiment Boddhisattva.
Chacun doit décider et trouver lui-même de combien d’heures il a besoin pour trouver sa stabilité.

Nous retournons à la première question : comment pouvons nous nous aider par zazen et aider les autres par zazen ?
Un danger apparaît lorsqu’on veut aider quelqu’un, ce danger c’est que l’on se sente supérieur aux autres et que l’on veuille les aider en les regardant de haut. On pourrait aussi commettre l’erreur de dire « je suis plus près de la lumière, je suis plus près de Bouddha et je peux vous aider à vous élever ». Et ce danger est très important si l’on n’a pas vraiment une pratique stable de zazen. C’est pourquoi il faut tenir zazen comme un miroir.
Quand on regarde par le miroir de zazen, on peut voir qu’on est loin d’être éveillé. Plutôt que de se sentir éveillé par zazen, nous réalisons à quel point nos illusions sont profondes. Plus je pratique zazen plus j’ai à réaliser que je suis celui qui a le plus d’illusions.
Il y a un haiku de kodo sawaki qui dit : « l’ombre des pins dépend de la clarté de la lune. »
Quand on est dans la clarté de la lune, on peut se rendre compte que l’ombre qui vient est en fait notre ombre et si on le reconnaît cela nous aidera dans le social.
Par exemple dans la vie de couple : je suis marié et j’ai deux enfants et je dois reconnaître que je me dispute assez souvent avec ma femme.
Tant moi que ma femme aimerions améliorer beaucoup de points chez l’autre, et nous préférons penser que ce que fait l’autre pourrait être mieux, au lieu de voir ce que nous pourrions faire mieux nous même. Et bien sûr je pense, c’est la faute de ma femme, et non pas la mienne, mais en fait c’est comme si ma femme était la lune, et qu’elle me montrait l’ombre.
Je dois aussi essayer de faire l’effort d’être la lune pour ma femme pour qu’elle puisse voir son ombre.
Bien sûr il est difficile d’accepter que cette ombre appartienne à chacun d’entre nous.
A chaque fois on pense que c’est l’ombre de quelqu’un d’autre.
La pratique de zazen devrait nous permettre de reconnaître que nous avons tous une ombre et que c’est comme ça que nous pouvons nous aider les uns les autres.
Il y a la pratique de zazen et la pratique du boddhisattva, et ça n’est pas l’un ou l’autre, cela doit aller ensemble. Pour le boddhisattva ce qu’il faut c’est partager le temps, l’espace et la vie avec les autres.
Bien sûr c’est bien aussi de distribuer de la nourriture des vêtements, de l’argent, mais ce qui est important c’est de partager son temps, son espace et la vie avec les autres.
La pratique de zazen c’est une forme de ce partage.
Quand vous êtes assis à 5 personnes dans ce dojo, vous partagez ensemble le temps, l’espace et la vie.
On pourrait bien sûr poser une nouvelle question : est-ce que la pratique dans le dojo est plus importante qu’à l’extérieur du dojo ?
Bien sûr les deux sont importants mais quand on pratique dans le dojo c’est beaucoup plus facile de trouver la stabilité et d'en suite la faire partager aux autres.

J’habite au japon dans un monastère isolé dans les montagnes, et souvent on me reproche de fuir les problèmes du monde et de ne pas m’en préoccuper. Ce n’est pas vrai parce que chacun d’entre nous a les problèmes du monde en lui et dans son esprit. Donc on ne peut pas fuir devant ces problèmes.
Dans ce monastère, il n’y a pas de mur, ceux qui veulent venir peuvent venir, le monde apparaît donc dans ce monastère.
Donc bien sûr ils se consacrent à la pratique mais ils la partagent aussi avec tous ceux qui viennent vers eux et il leur demande de la partager à nouveau avec d’autres;
C’est pourquoi la vie au monastère n'est pas différente de votre vie ici.
On peut peut-être dire que la vie au monastère est plus simple. Parce que l’on sait a tout moment ce que l’on doit faire et que le groupe est, lui aussi, stable.
Vous ici avec votre famille, avec votre travail, avec la vie qu’il y a autour, vous avez besoin de racines bien plus profondes que celles que nous avons au monastère.
Est-ce que j’ai répondu à tes questions Hubert ?

Oui.

Un autre point que je voudrais aborder c’est comment je pratique à Antaiji.
Ce que j’ai appris de mon maître, ce sont deux points principaux : le premier point, il me l’a exposé la première fois quand je suis arrivé à Antaiji.
Il m’a dit : « tu dois créer Antaiji. » Et c’est la première chose qu’il disait à chacun des nouveaux venus.
Antaiji, ce n’est pas comme une école où l’on vient, on suit des cours, on passe les examens, non. La différence c’est que tout dépend de chacun : ce qu’il veut apprendre, ce qu'il veut pratiquer, c’est cela qui crée Antaiji. Chacun est responsable de sa propre vie à Antaiji.

l’autre point, il me l’a exposé quelques temps plus tard, alors que j’étais devenu moine : « tu ne comptes pas du tout. »
J’étais étonné parce que d’abord il me dit que je vais créer Antaiji, et après il me dit que je ne compte pas du tout. Il m’a fallu un certain temps pour comprendre que les deux allaient ensemble. Il faut réussir à s’oublier complètement pour pouvoir créer Antaiji.
Dogen disait aussi qu’étudier le chemin de Boudha s’est s’étudier soi-même, et s’étudier soi-même signifie s’oublier. Et s’oublier signifie aussi se retrouver dans chaque chose. Je pense que c’est ce que mon maître a voulu me dire en me disant d’une part :
« tu crées Antaiji » et d’autre part «  tu ne comptes pas. »

Créer Antaiji ne signifie pas faire ce que l’on a envie.
Je vais essayer de vous expliquer en prenant l’exemple de quelqu’un qui travaille dans un restaurant de Sushi.
Un de mes frères moine a travaillé dans un restaurant de Sushi avant de devenir moine. Il m’a expliqué que pendant les premières années de son travail on ne lui a strictement rien appris. Il devait simplement faire la vaisselle. Et un jour on lui a dit : tu dois préparer les Sushi.
Il ne pouvait pas se permettre de dire : je ne sais pas comment on fait.
On a trois façons de se représenter comment un assistant doit travailler :
Par exemple, il peut se dire que laver les assiettes c’est très ennuyeux, et comme cela ne lui plait pas de laver les assiettes, pendant ce temps là, il pense à sa petite amie qui est à la maison, il pense à autre chose. Bien sûr, au bout d’un an, il n’est pas capable de faire des Sushi.
Il peut aussi laver les assiettes avec beaucoup de conscience, mais il ne sera pas non plus en mesure de réaliser des Sushi parce que son esprit est concentré sur le lavage de la vaisselle.
Par contre s’il lave la vaisselle tout en écoutant et en regardant ce qui se passe autour de lui, il saura faire des sushi, et cela signifie créer sa propre pratique.
Nous ne pouvons apprendre que si nous sommes à l’écoute et si nous regardons. C’est pourquoi il n’est pas important de dire que l’on pratique pendant 1800 heures ou seulement 200 heures, ce n’est pas cela le plus important, le plus important c’est de pratiquer tout en étant en connexion avec ce qui se passe.

Il y a aussi une autre relation qui est celle de celui qui apprend et du maître.
Maître Dogen dit que le maître est comme un sculpteur ou un artisan qui travaille. Si c’est un bon sculpteur ou un bon artisan la qualité du bois n’est pas importante.
Le morceau de bois c’est le pratiquant et le sculpteur c’est le maître.
C’est très important de savoir cela quand on doit enseigner quelque chose à quelqu’un.
Par exemple, je me surprend parfois à avoir des pensées secrètes pas très positives quand je me dis : comment se fait-il que tous ces imbéciles viennent à moi… et là je dois me souvenir que je suis le sculpteur. Donc je ne peux pas me plaindre de l’œuvre que j’ai façonné.
Bien sûr ce serait aussi une erreur de penser, si l’on se met à la place de l’élève, que rien ne dépend de nous, et que tout dépend du maître.
Le contraire est valable aussi : l’élève permet au maître de se réaliser.

On peut voir la même chose dans la chrétienté, Jésus avait 12 apôtres et chacun d’entre eux pouvait voir Jésus dans chacun d’entre eux. Judas avait une toute autre représentation de Jésus que Pierre. Et Paul qui, de sa vie, n’a jamais rencontré Jésus s’était créé un tout autre Jésus. C’est la même chose pour les disciples de Bouddha, chacun avait sa propre représentation de Bouddha. Ce qui signifie que ce que l’on peut apprendre d’un maître cela dépend aussi en partie de nous.
Ce sont les deux points que j’ai appris de mon maître.

Il y a une chose qui me plaît beaucoup et qui plaît aussi à d’autre à Antaiji, c’est que les choses sont très simples. En dehors des 1800 heures de zazen, nous ne faisons rien d’autre que samu, manger, dormir.
On pourrait aussi rétorquer : est-ce que cela ne pourrait pas être un peu plus compliqué ? La réponse est : bien sûr, mais cela n’est pas nécessaire. Notre vie est déjà compliquée, alors pourquoi la compliquer encore plus ?
D’autre part je ne pense pas que cela soit mauvais d’intégrer d’autres éléments. Par exemple, si les gens veulent réciter les sutras, je n’y vois pas d’inconvénient.
Mais à Antaiji, nous faisons cela très rarement. Nous n’utilisons donc pas le Kyosaku.
L’abbé s’assoit face au mur, comme les autres participants. Et souvent les gens sont très étonnés quand ils me voient face au mur. Je me mets face au mur parce que je pense que je ne suis pas différent des autres, et je pratique comme les autres. Je ne suis pas un surveillant.

La plupart du temps, le danger qui subsiste, c’est que les gens se tiennent bien droit pour que le surveillant ne les surprennent pas dans une assise affaissée.
C’est pourquoi à Antaiji, nous pratiquons zazen sans jouet. On peut pratiquer zazen en utilisant le kyosaku ou le maître comme un jouet. Et alors on oublie que nous sommes responsables de notre pratique et que nous devons créer notre pratique.

Pour ma part, si je n’utilise pas le Kyosaku ou si je ne me comporte pas comme un surveillant, et ne me promène pas pendant la séance, c’est, pour être très franc, parce que je suis très paresseux. Si je devais faire tout ça, je n’aurais pas vraiment le temps pour pratiquer zazen. C’est exactement la raison pour laquelle je m’assoie face au mur, et non face à vous.
Je ne suis bien sûr pas le premier abbé à faire ça, c’est pratiqué ainsi depuis plusieurs générations à Antaiji. Ca ne veut pas dire que c’est comme ça qu’il faut le pratiquer, c’est juste comme ça que l’on pratique à Antaiji, et si c’est pratiqué autrement ailleurs, c’est bien aussi.

Ca fait une petite heure que je parle, si vous avez des questions maintenant, vous pouvez les poser et j’y répondrai.


Est-ce que vous pratiquez des cérémonies à Antaiji ?

Nous pratiquons zazen de 4h à 6h, et ensuite nous chantons le Dai sai geda puku.
Ensuite, après le petit déjeuner nous faisons les orioky avec le bushokapila.
Nous n’avons pas de récitations de sutra à part celle là. Nous ne faisons pas de cérémonie mais quand nous devons faire une cérémonie, il faut les prendre très au sérieux.
Lorsqu’Odile Kukai était à Antaiji, je l’ai souvent critiquée sur ses performances en matière de cérémonies.

Odile : tu m’as beaucoup aidé.

La cérémonie doit être très simple, mais il faut que la forme soit la bonne.

Odile : Que la forme soit la bonne, comme zazen .

Dans Zazen, la forme est aussi très importante, c’est vrai.

Tout à l’heure, tu as dit, c’est à chacun de trouver combien il doit pratiquer pour trouver la stabilité, qu’est ce que la stabilité ?

J’ai, par exemple, parlé du couple. L’amour est bien sûr important dans le couple. L’amour ne peut exister que si l’on s’oublie totalement et que l’on est là pour les autres. Ce qui est le plus difficile, c’est de continuer à faire quand on ne reçoit rien en retour. Ca n’est pas difficile de donner tant qu’on reçoit un peu en retour, c’est plus difficile quand on ne reçoit pas. Bien que nous ressentions tous ce besoin de donner aux autres, il y a cette peur de ne pas recevoir en retour, et je crois que la stabilité c’est aller vers l’autre même quand on sait qu’il n’y aura rien en retour. Donner sans attente, sans condition.

Quelle est l’attitude juste par rapport aux difficultés de la vie, comme la douleur qui peut être insoutenable pendant zazen ?

Surtout ne pas se séparer de la douleur, ne faire qu’un avec elle, la prendre avec soi.
Et bien sûr, prendre aussi la douleur des autres.
En théorie c’est simple, en pratique c’est plus difficile. C’est aussi très difficile dans un couple, exemple très simple et déjà très difficile.

Est-ce que ça veut dire que décroiser pendant zazen n’est pas l’attitude juste ?

Chacun a ses limites physiques. Tout le monde ne peut pas s’asseoir assis croisé pendant une heure. Quand on vient s’asseoir pendant 40 minutes dans le dojo, par exemple, il faut trouver la bonne position pour pouvoir rester assis pendant 40 mn. Mais lorsqu’on a choisi une position, il est très important de rester assis dans cette position sans bouger.
On devrait être prêt à mourir. Mais je n’ai jamais entendu dire que quelqu’un était mort de douleur pendant zazen. Pour moi, les gens doivent être tranquillisés et calmés pendant zazen, s’ils devaient mourir pendant cette sesshin, il y a un cimetière derrière qui s'occupera d'eux.

Bien sûr il est important de ne pas lutter contre la douleur quand elle est là. Quand ont lutte contre la douleur, on ajoute d’autres douleurs (dans les genoux, dans les pieds, …). Il y a deux attitudes : certains veulent fuir devant la douleur, d’autres veulent combattre la douleur.
Il faut réussir à faire cette démarche qui est ne pas combattre ni fuir la douleur, mais l’accepter et la garder telle qu’elle est.
Chacun a bien sûr ses limites physiques, et tout le monde ne peut pas s’asseoir comme moi, pendant une heure, mais on peut s’asseoir en demi lotus, en seiza ou sur une chaise.

Lorsqu’Odile est venu à Antaiji au début de la sesshin ils étaient 11 puis à la fin ils n’étaient plus que 5.

Odile : Il faisait très froid vers 4°C

Dogen a souvent parlé de la pauvreté comme une vertu dans la pratique de la voie, est-ce que cela signifie que la possession de biens matériels nous éloigne de la pratique juste ?

Biens sûr il faut posséder un minimum, même les moines ont une robe mais il ne faut pas accumuler. Souvenons-nous que l’on est venu au monde nu.
Dogen a écrit les huit aspects de la maturité. Il ne dit pas aucune exigence, il dit quelques exigences, on a besoin d’air, d’eau, d’alimentation. Il est important de savoir que l’on a assez pour vivre et que l’on n’a aucune raison de se plaindre. Mais c’est très difficile parce que l’on pense toujours qu’il nous manque quelque chose, même quand on est millionnaire. Même quand on est heureux en ménage et que l’on voit une autre femme, on pense qu’avec cette autre femme on pourrait être plus heureux. Et c’est comme cela que l’on créé nos souffrances. C’est pourquoi il est important de reconnaître que l’on a assez, et cette reconnaissance va de pair avec le don. Il est d’autant plus difficile de donner que l’on attend quelque chose des autres.
Quand nous arrêtons de vouloir plus que ce que nous avons, et d’attendre des autres plus que ce que nous avons, il est beaucoup plus facile de donner.

Qu’est ce qu’un homme comme toi aujourd’hui, abbé d’Antaiji, qui a déjà reçu beaucoup par son maître et le gens qui passent en sesshin, quelle est ton aspiration, ton but dans l’existence et quel sens a-t-elle aujourd’hui ?

J’aspire à pouvoir satisfaire aux attentes de toutes les personnes qui viennent au monastère, en tant qu’abbé, et j’aimerai être un meilleur père pour mes enfants.
Et souvent ça n’est pas simple de réaliser tout ça.

Comment peut-on être sûr qu’on pratique vraiment zazen ?

On ne peut jamais être vraiment sûr, c’est pourquoi il est important de pratiquer dans un groupe.
Même dans la position, on peut penser qu’on se tient droit, alors qu’on est bancal.
Par exemple, j’ai très longtemps tenu mes mains de travers, il a fallu que quelqu’un m’en fasse la remarque. Quand on pratique en groupe, les autres sont pour nous des miroirs, et l’on peut se voir.

Bien sûr cela ne se produit pas uniquement au dojo, cela se produit aussi à la maison, ou au travail on a le miroir par les autres;
Quand on se regarde dans le miroir, on peut se rendre compte que parfois, notre pratique n’est pas juste. Par contre on se rend compte qu’il y a quelque chose qui cloche dans notre pratique, c’est bien.
Mais il peut arriver aussi que l’on se dise : « ma pratique est bonne, mais alors les autres…. ».

Quelque fois pendant zazen, le regard focuse sur un point, n’est pas large ?

Il y a deux versions : la question est toujours, est-ce que je dois fixer un point, ou est-ce que je dois élargir mon champ de vision ?
Il y a ceux qui prétendent que l’esprit ne peut pas être calmé si l’on n’a pas de regard fixe.
Je crois qu’il est important de s’ouvrir complètement comme pour l’exemple de l’assistant de sushi. Pour ma part, je ne regarde jamais un point fixe.

Toute aspiration est un désir, mais le désir nous empêche de nous libérer, alors comment faire ?

Normalement on ne doit pas éprouver le désir, mais lorsqu’on se dit «j’aimerais avoir un esprit qui ne désire pas c’est déjà un désir ».
Dans le zen, ont dit de « laisser partir les pensées », il y a des gens qui disent qu’ils doivent s’empêcher de penser pendant zazen. Il est important de comprendre qu’il faut les laisser partir, et non pas de les bloquer.
Dès qu’on pense cela, c’est comme le jeu du chat et de la souris, sans arrêt on recommence.
Ce n’est pas nécessaire d’essayer de résoudre ces paradoxes de manière intellectuelle.
Zazen c’est le domaine du corps c’est pourquoi la position du corps est si importante pendant zazen.et à Antaiji, par exemple, dans la quotidienne je dis aux personnes : « tout ce que vous faîtes, vous devez le faire vite, dans le silence, et de manière efficace. »
Quand on fait soit l’un soit l'autre, si l’on travaille seulement vite ou seulement dans le silence, c’est assez facile à réaliser, parce que l’on peut toujours penser. Mais si l’on se concentre bien à faire les choses rapidement, en silence, et le mieux possible, alors les pensées s’envolent et tout ce qui est désir disparaît.

Qu’est ce que tu dirais à quelqu’un pour lui donner envie de découvrir cette pratique ?

Tu es très généreuse et d’une grande sensibilité si tu essaies de donner envie aux gens de découvrir zazen. Moi en tant qu’abbé, j’ai l’attitude inverse, je lui demande : mais pourquoi veux tu pratiquer zazen ?
Si on essaye de convaincre de pratiquer zazen, il ne pratiquera pas longtemps.
Il ne faut surtout pas dire à quelqu’un : tu vas pratiquer zazen, cela n’apportera rien.
Ce n’est pas important que tout le monde pratique zazen, pour certains, c’est le bon chemin, pour d’autres non.

J’ai une question par rapport au don : je comprends très bien qu’il faille donner sans l’esprit de retour, mais l’on voit aussi ses propres limites par rapport à ça. Comment faire pour dépasser cela, ou faut-il accepter ses limites du moment, et recommencer ensuite ?

Je crois qu’il n’y a pas d’autre choix, il faut reconnaître ses limites et essayer d’autres tentatives mais ne pas obligatoirement essayer d’aller au dessus de ses limites.

Est-ce que la pratique du yoga diffère fondamentalement de cette pratique ?

Je ne connais pas suffisamment le yoga pour répondre à cette question, donc je ne peux pas comparer les deux. Les positions sont peut-être les mêmes, mais je ne pense pas que dans le yoga l’absence d’ego existe. Il me semble que dans le yoga on doit élever son ego, alors que dans le bouddhisme, on doit l’oublier.

Je comprends que l’on doit donner en s’oubliant, mais quand on éduque quelqu’un, des enfants par exemple, on doit les éduquer à remercier, et à être dans l’échange, autrement la vie n’est pas possible. N’y a-t-il pas une contradiction entre les deux ?

Quand on éduque les enfants, on les apprend à remercier, mais c’est par amour pour eux, pas pour soi. C’est comme cela que ça devrait être.
Le plus grand don que peut faire un Boddhisattva, c’est apprendre à une autre personne à devenir un Boddhisattva. Bien sûr on attend souvent des autres qu’ils deviennent des boddhisattva, mais surtout pas par amour pour nous.

Mais, est-ce que cela ne l’éduque pas à reconnaître que l’autre à des attentes aussi ?

Un Boddhisattva ou n’importe qui doit savoir que les autres attendent quelque chose de nous.
Il faut apprendre à ne pas attendre quelque chose des autres, mais il ne faut pas apprendre à penser : les autres n’attendent rien de moi, donc je ne remercie pas.
Par exemple, tout à l’heure, j’ai expliqué qu’il fallait apprendre à faire les choses dans le silence, rapidement et de manière efficace. A Antaiji, dans le corridor, il ne faut pas faire de bruit, et une personne faisait beaucoup de bruit, quand je lui ai fait remarquer il m’a répondu : pourquoi cela te dérange-t-il, tu est un Boddhisattva, tu dois accepter cela de moi !
Je pense qu’il est important d’apprendre aux enfants à remercier, même si moi je n’attends pas que l’on me remercie.

Comment sortir de l’impasse où l’on peut se trouver, si notre pratique de zazen gène celle que l’on aime ?

Il convient alors de pratiquer un peu moins zazen par amour de la famille ou de celle que cela dérange. Il y avait un maître zen Uchiyama Roshi qui disait : si tu veux savoir combien ta pratique de zazen est bonne, demande à ta femme ou à tes enfants.
Il arrive aussi que notre pratique de zazen soit une fuite de nos problèmes, et cela ne doit pas être.
Il y a peut-être aussi le danger d’oublier que le temps que l'on passe au dojo et où l’on est tous ensemble nous fait oublier que le pas qui est le plus important est le premier pas que l’on fait en sortant du dojo. C’est le moment le plus important.
Il y a un koan qui illustre cela : un moine chinois monte à l’arbre et son maître l’observe. Il est en train de redescendre, il est presque arrivé en bas, quand son maître lui crie : ‘fais attention », fais attention.

Le point le plus important, c’est de bien comprendre que c’est au moment où l’on pense que l'on a terminé quelque chose que l’on perd la concentration, et c’est là qu’il va falloir faire attention. C’est pourquoi c’est le premier pas que l’on fait quand on sort du dojo qui est important. Quand vous venez au dojo, vous avez une tenue particulière, et vous êtes là, vous vous dîtes, c’est le moment de zazen, et vous vous concentrez. A peine vous êtes sorti, vous oubliez complètement ce moment où vous étiez concentré, votre esprit vagabonde, et cela devient dangereux.
C’est pourquoi ce qui se passe dehors est important.

Une fois qu’on est dans le social, quelle est la technique pour se centrer comme on le fait pendant zazen ? Est-ce que c’est la respiration, est-ce que c’est ….. ?

Dans la vie de tous les jours, on ne peut pas se concentrer sur la respiration. Par exemple quand on est au téléphone, on ne peut pas se concentrer sur la respiration.
Je crois que ce qu’il faut faire quand on est à l’extérieur du dojo, c’est simplement donner le meilleur de soi-même.
Si vous êtes dehors, et pour utiliser une métaphore, que le vent souffle et vous emmène d’un côté puis de l’autre, il faut revenir au dojo pour retrouver la stabilité. Je crois que ce n’est pas réaliste d’essayer de se tenir droit en permanence et de respirer correctement.

Qu’est-ce qui a le plus d’apport pour toi, depuis la pratique de zazen, dans la vie de tous les jours ? En quoi est-ce que tu ressens vraiment l’apport de la pratique ?

C’est difficile à dire parce que je n’ai pas de vraie comparaison possible avec la vie que j’aurai eu si je n’avais pas pratiqué zazen. Je pratique zazen depuis que j’ai 16 ans. Bien sûr des choses ont changé, mais je pense que c’est plus dû à l’âge qu’à zazen.
Mais je n’ai jamais regretté de pratiquer zazen.

Tout à l’heure Laurent a posé la question « quand la personne que tu aimes te reproche de trop pratiquer zazen, qu’est ce que tu peux faire ? » tu lui as répondu «  si tu aimes cette personne pratique moins ». Ta femme, j’imagine, doit te reprocher aussi de trop pratiquer…

Ma femme ne me fait pas de reproches parce que quand elle m’a connu, elle connaissait mon engagement et ma pratique. Par contre ce sont mes enfants qui me font des reproches, et bien sûr si je ne pratiquais pas autant zazen, j’aurais plus de temps pour mes enfants.
Bien sûr je préférerai dire aux membres du monastère : «pourquoi est-ce que vous ne pratiquez pas sans moi ? » mais ce n’est pas possible, parce qu’ils me répondraient « tu es l’abbé, tu dois pratiquer zazen ! ». C’est très difficile de trouver un équilibre entre l’attitude de mes enfants et l’attitude des pratiquants du monastère qui sont, pour moi, comme des enfants.

Est-ce que tu penses que, par rapport à l’énorme souffrance du monde, le fait qu’il y ait si peu de pratiquants parce que c’est difficile, une forme plus proche de la civilisation pourrait apparaître, un lien plus prononcé, peut-être avec la psychologie, qui pourrait peut-être permettre d’accéder plus facilement au zafu ?

Dans le bouddhisme, il existe le « moyen habile » pour aider. Il faut sans arrêt se rappeler que zazen c’est la pratique du corps, contrairement à la chrétienté ou à d’autres pratiques, comme la psychologie. Surtout à une époque où, par exemple avec internet, on peut s’oublier complètement, parce que tout est virtuel. Il faut renouer avec son corps.

C’est le corps, mais c’est aussi les émotions. C’est très important d’accepter les émotions. Si les gens ne viennent pas, c’est souvent que c’est trop difficile pour eux de gérer ces émotions, et on n’a pas de réponse à leur apporter.

Bien sûr comme la douleur, les émotions peuvent être obstacle. Il faut dire aux gens que c’est de ces obstacles qu’ils vont apprendre, et que l’on apprend beaucoup plus en surmontant les difficultés. Mais à Antaiji, il arrive que des gens quittent le monastère parce que cela leur fait trop mal ou parce que les émotions sont trop douloureuses.
Alors tout comme je laisse la porte ouverte pour leur venue, je les laisse libres de repartir.
Bien sûr, on peut se poser des questions : « comment amener plus de gens à cette pratique ? », je n’ai toujours pas trouvé la recette.

Vous avez dit tout à l’heure, zazen, c’est s’occuper de son corps. S’occuper de son corps c’est donc s’occuper de soi. J’ai l’esprit confus, parce que zazen, c’est aussi l’oublie de soi, alors où l’on s’occupe de soi et de son corps ou l’on s’oublie, et je n’arrive pas à me situer entre ces deux principes.

Il faut bien faire la différence entre le corps et l’esprit. Quand ont dit s’occuper de son corps, c’est le meilleur moyen d’oublier son esprit parce que c’est notre esprit qui fait que l’on ne s’oublie pas.

Toutes les souffrances que l’on ressent, dans la vie de tous les jours, mais aussi dans la pratique de zazen, sont dues en grande partie à notre esprit, à notre ego, et à notre façon de réagir par rapport à la souffrance. Est-ce que zazen nous permet et nous aide à oublier et à mieux supporter la souffrance et finalement oublier un peu notre ego ? (puisque c’est notre ego qui est à la base de notre souffrance, à la base de nos pensées négatives, …)
Est-ce que c’est sur cet ego là qu’il faut travailler ?
Est-ce que c’est notre ego qui est la base de toutes nos souffrances ?


Il ne faut pas commettre l’erreur de penser que l’ego est mauvais et qu’il faut éliminer.
Peut-être qu’il y a des souffrances sans ego, alors cela ne nous fait pas vraiment souffrir, parce que ce qui nous fait souffrir c’est notre ego.
Il ne faut pas éliminer l’ego, mais il faut essayer d’apprivoiser les souffrances avec l’ego, embrasser les souffrances. Si on embrasse les souffrances on peut aussi embrasser l’ego de la même façon. Il y a des écoles dans le bouddhisme qui font en sorte de réduire l’ego à un point minimum or dans le zen, on l’ouvre de façon à ce qu’il devienne illimité.
Si l’ego est sans aucune limite, la souffrance n’aura pas de limite non plus parce que le Boddhisattva va s’identifier aux souffrances de tous. Mais cette souffrance ne fait plus mal parce qu’on la partage avec tous, et il n’y a pas d’une part le bonheur et d’autre part la souffrance. C’est pourquoi, c’est beaucoup trop simpliste de dire on élimine l’ego et on a plus de souffrance.

Si vous n’avez plus de questions, je vous remercie de m’avoir accueilli, je remercie Hubert et Laurence pour leur hospitalité, et j’espère que vous allez continuer à pratiquer et penser à l’anecdote de l’assistant Sushi.


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